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9 et 12 février 1934, la riposte antifasciste du mouvement ouvrier

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Nous citons le texte de Daniel Guérin dans son ouvrage "Front Populaire, révolution manquée". Ce témoignage donne des leçons et des pistes encore utiles aujourd'hui. 

 

"Dans la nuit du 6 au 7 février, tandis que je fais mon rapport téléphonique à Marceau Pivert, les commissions exécutives des fédérations socialistes de Seine et Seine-et-Oise siègent fiévreusement dans le petit local de la rue Feydeau. Elles lancent un appel sur le thème « trêve de divisions, unité d'action loyale ! ». Peu après minuit, elles envoient une délégation au parti communiste, lui proposant à titre de riposte immédiate, une manifestation de rue pour le 8 février. Au même moment, au comité central du PC, Renaud Jean et Jacques Doriot pressent la direction de proposer aux socialistes une contre-manifestation rapide. Mais Maurice Thorez, qui à des ordres et qui, au surplus, n'a encore rien appris, s'obstine: « pas de front unique à la tête ». Les communistes refusant de s'associer à la manifestation du 8, celle-ci est annulée. Ils veulent leur manifestation à eux. Elle aura lieu le 9 au soir, à partir de la place de la République. En dépit du sectarisme stalinien, nombre de militants socialistes de la Seine, pour la plupart des pivertistes, se sont joints, dans rue, aux manifestants communistes.

Tout le quartier de la République est en état de siège. Pendant cinq heure, de sept heure à minuit, nous nous battons avec les flics. Nous dressons un peu partout des barricades et échangeons avec la police force de coups de feu. L'émeute fait tâche d'huile jusqu'aux faubourgs ouvriers du 20ème. Dans les ruelles avoisinant les rues de Belleville et de Ménilmontant, on se bat furieusement: charges et contre-charges. J'ai l'impression, à la fois excitante et un peu terrifiante, que le quartier, qui m'est familier, a repris son visage du temps de la Commune. Le bilan est lourd: 6 morts, plusieurs centaines de blessés. Les combattants ont fait preuve de courage. Par ce baroud d'honneur, le parti communiste se flatte à la fois de racheter son inconduite du 6 février et de prouver l'utilité du front unique à la tête. Mais ce ne sont pas les maigres effectifs dont il dispose qui peuvent suffire à barrer la route au fascisme. Là où les sectes politiques sont impuissante, la classe elle-même va entrer en scène. La grève générale du 12 février à été manigancée, le 7 au matin, par le ministre de l'Intérieur Daladier, Eugène Frot, de mèche avec Léon Jouhaux et Léon Blum. A l'origine, ses objectifs sont limités et nullement révolutionnaires: elle vise à faire contrepoids à la pression des ligue factieuses sur un gouvernement qui n'est pas encore démissionnaire. Mais, à l'insu, ou au delà de l'attente, de ses initiateurs, elle va prendre figure de formidable démonstration de masses. A travers la France, quelque cinq millions de travailleurs se croisent les bras. A Paris, ni journaux, ni spectacles, ni moyens de transport. J'ai passé, pour ma part, toute la journée du 11 à rouler dans les rames de métro, avec en bandoulière une grosse gibecière en cuir, qui servait à mon grand-père pour la chasse, et que j'ai bourrée de tracts de la CGT. L'accueil des voyageurs, leur chaude sympathie, leurs encouragements fraternels m'ont déjà permis de prendre la température des masses ; le triomphe de la journée du lendemain ne me surprendra pas.

 

L'après-midi du 12, en pleine grève, les socialistes ont organisé une manifestation au cours de Vincennes. Les communistes, tempérant, enfin, leur hargne sectaire, ont décidé de s'y rallier. Une marée humaine déferle sur la place Nation. C'est le premier des rassemblements gigantesques qui marqueront l'âge dit du Front Populaire. Le communiste tourne autour du rond-point dans un sens, le cortège socialiste dans le sens contraire. Puis, quand ils se rencontrent, leurs flots se rejoignent, se fondent, au cri de « Unité ! Unité ! ». Leur masse avance maintenant, en rangs serrés, sur toute la largeur du cours Vincennes, chantant l'Internationale.

Quant à chacun de nous, fétus de paille au milieu de cet océan, la confiance nous gonfle la poitrine. Enfin, pour la première fois, nous agissons ensemble. Ce dont le mouvement ouvrier allemand s'est révélé incapable, jusqu'à la dernière minute, contre Hitler, nous venons de le faire, nous.

Les fascistes et leurs complices policiers peuvent s'amuser à allumer des incendies sur nos places publiques: ce sont là jeux de gamins. Nous, nous venons de prouver que nous sommes capables de paralyser toute la vie du pays. Nous voilà délivrés, enfin, des complexes d'infériorité qui, depuis si longtemps, nous inhibaient: nous découvrons que nous sommes forts. Mais nous ne le serons que si nous ne nous bornons pas à rester sur la défensive. Nous ne vaincrons le fascisme que si nous sommes plus offensifs que lui. La défense des libertés n'est qu'un point de départ, un minimum. Les occupations d'usines italiennes, en 1920, l'ont démontré: la grève générale peut être une arme à double tranchant. Il faut pousser plus loin. Ou le fascisme prendra le pouvoir, ou ce sera nous. Ou nous exorciserons la guerre, ou nous subirons la guerre."

9 et 12 février 1934, la riposte antifasciste du mouvement ouvrier

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