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Livre "Tenir la rue": assumer la confrontation

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 2 interview de Matthias Bouchenot, auteur du livre récemment sorti chez Libertalia "Tenir la rue. L'autodéfense socialiste 1929-1938"

Interview de La Horde

Matthias Bouchenot s’est penché sur l’histoire des groupes d’action et des groupes d’autodéfense de la SFIO (Parti socialiste), principalement dans la fédération de la Seine durant les années 30. Ces groupes, « » (JGS) et « Toujours prêts pour servir » (TPPS), étaient à la fois des groupes chargés d’assurer la sécurité des cortèges et les meetings de la SFIO, ils avaient une ligne politique bien plus radicale que celle du parti. 

-Pourquoi s’être intéressé au service d’ordre de la SFIO des années 1920-1930 et pas à
celui de la CGT ou du PCF ?

Les services d’ordre de la CGT et du PCF font déjà l’objet de plusieurs études scientifiques, avec notamment les travaux d’Isabelle Sommier sur la CGT ainsi que ceux de Sylvain Boulouque et de Georges Vidal sur le PCF. Par ailleurs, si je me suis intéressé spécifiquement à l’autodéfense socialiste lors de cette période d’entre-deux-guerres, c’est aussi parce qu’elle relève d’une expérience originale et aboutie. C’est particulièrement le cas pour les Toujours Prêts Pour Servir (TPPS) et les Jeunes Gardes socialistes (JGS), les deux structures principales de l’autodéfense socialiste en région parisienne. Confrontée successivement au PC et aux ligues nationalistes, elle évolue entre noyau de milice révolutionnaire et services d’ordre légaux. Dans ces années marquées par une forte conflictualité politique et sociale, il n’est pas inintéressant de se pencher sur ces structures qui concernent des centaines – voire des milliers de militants – et qui ont fait l’objet d’importants débats au sein de la SFIO.

-Sur quelles sources as-tu travaillé ?

Je me suis aussi bien appuyé sur les textes de congrès et les articles de presse que sur les archives personnelles des dirigeants socialistes ou sur celles de la préfecture de police de Paris. Je n’ai pas négligé les Mémoires de militants socialistes de cette période et j’ai eu la chance de m’entretenir avec Eugène Boucherie, l’un des derniers acteurs de cette expérience. Il était militant aux Jeunes Gardes socialistes de Paris en 1935. Sur la question des sources, j’ai été confronté à trois types de difficultés. La première est que la SFIO n’a pas la culture bureaucratique de la trace écrite et n’a pas forcément eu le réflexe de ficher toute l’activité de ses groupes d’autodéfense, à l’inverse du PCF par exemple. Ces archives socialistes sont de toutes façon réduites à peu de choses, ayant été partiellement détruites en 1940 puis saisies par les Allemands, avant de passer plusieurs décennies à Moscou… pour finir par revenir en France. Bref, il restait encore à les classer pour partie, au moment où je les étudiais. La seconde difficulté est liée au passage de la SFIO au pouvoir et au relâchement de la surveillance policière sur les activités socialistes. La dernière est évidemment la nature souvent illégale de l’activité de l’autodéfense qui n’incite pas à s’embarrasser de preuves. Je pense cependant avoir réuni les éléments nécessaires pour tracer les contours d’une histoire de l’autodéfense socialiste dans les années 1930.

-On a du mal à s’imaginer aujourd’hui, mais la violence politique était bien plus élevée à cette époque qu’à l’heure actuelle. Est-ce que tu peux nous parler un peu des mœurs politiques de l’époque et des tentatives régulières, de part et d’autres, d’essayer de porter la contradiction dans les meetings adverses voir de les empêcher ?

Nous avons souvent en tête le titre de l’ouvrage de Daniel Guérin Front populaire révolution manquée, et les historiens eux-mêmes, comme Serge Berstein s’appuie sur une comparaison avec la Commune de Paris pour évoquer un affrontement « simulé » dans les années 1930. Les combats politiques de cette époque ont cependant fait une soixantaine de morts et des centaines de blessés. À gauche comme à l’extrême droite, la violence n’a alors rien de stigmatisant, bien au contraire. Les meetings, les affichages, les distributions de tracts et de journaux sont alors les principaux vecteurs politiques. En s’attaquant aux vendeurs de la presse adverse ou à ses meetings, on handicape sérieusement son développement. Dans la période dite « classe contre classe » (1928-1932), le PC n’hésitait pas à attaquer les meetings socialistes pour priver la SFIO d’audience dans les quartiers populaires de Paris.

-Marceau Pivert est un personnage incontournable de ton ouvrage. Peux-tu nous rappeler son parcours politique ainsi que ses positions ?

Marceau Pivert est en effet l’un des fondateurs des TPPS et leur dirigeant durant toute cette période. En 1914, c’est un jeune républicain belliciste, mais il ressort de la guerre malade et profondément pacifiste. Il évolue alors du Parti radical à la SFIO, où il rejoint la tendance de gauche dite « Bataille socialiste ». En, 1935, cet instituteur de Montrouge fonde sa propre tendance : la « Gauche révolutionnaire ». Il porte le projet d’un « Front populaire de combat » et montre souvent une plus grande proximité avec les organisations gauchistes (anarchistes, trotskistes, et marxistes révolutionnaires). Exclu de la SFIO en 1938, il fonde le PSOP, avec Daniel Guérin notamment. Au Mexique, en 1939, il propose son aide à De Gaulle.

-Est-ce que les TTPS ont incarné, en plus de leur mission de SO un courant politique au sein de la SFIO ?

Les TPPS sont en grande partie constitués de jeunes militants organisés à la faveur du Front populaire. Ils ne s’inscrivent pas nécessairement dans la tradition guesdiste d’éducateurs socialistes qui caractérisait la SFIO jusqu’alors. Ils sont épris d’action et montrent une sensibilité pour les thèses révolutionnaires. Leur direction est de toute façon toujours entre les mains de la Gauche révolutionnaire et parfois d’entristes trotskistes.

-Comment expliques-tu ce rapport méfiance/attirance entre les organisations politiques et leur service d’ordre ?

Je pense que dans les années 1930 (contrairement à ce qu’ont pu connaître certaines organisations d’extrême gauche dans la deuxième moitié du XXe siècle), la question du rapport du parti à son service d’ordre ne se pose pas en termes de méfiance/attirance. Les débats concernent plutôt la question de la prise/exercice du pouvoir et donc de la place de l’autodéfense dans cela. Ce que les majoritaires réformistes combattent, c’est d’avantage l’insurrectionalisme que les groupes de combats.

-Est-ce que tu sais ce que sont devenus les personnes engagées dans les TTPS ou les JGS lors de la seconde guerre mondiale ?

J’ai des informations pour quelques membres clairement identifiés comme André Weil-Curiel, responsable de l’état-major des TPPS, qui rejoint Londres en décembre 1940, mais il faudrait une étude plus approfondie et plus globale ; la question est parfaitement légitime. Je ne suis cependant pas certain que nous disposions des matériaux nécessaires.

 

Interview d'Alternative Libertaire:

 

Matthias Bouchenot : « Contester la présence des ligues nationalistes dans la rue »

Les années 1930 ont été le théâtre de violences fascistes particulièrement fortes. Face aux ligues d’extrême droite, l’autodéfense s’est organisée au sein des partis de gauche. Matthias Bouchenot, auteur de Tenir la rue, à paraître le 6 mai, revient pour nous sur les groupes d’action de la SFIO.

 

Alternative libertaire : Ce livre, issu de ton mémoire de master, s’intéresse à une histoire méconnue. Comment en es-tu venu à t’y intéresser ?

Matthias Bouchenot : Je voulais travailler sur les pratiques militantes des organisations révolutionnaires, étudier la manière dont leurs valeurs, leurs théories, leurs analyses des périodes politiques s’incarnaient dans l’action concrète.

Le sujet de l’autodéfense socialiste dans les années 1930 réunissait trois avantages : le premier, de n’avoir jamais été traité, le second, d’être accessible. Le troisième avantage est qu’il permet à la fois de reprendre le pouls de l’intensité du conflit politique dans les années 1930 et de s’interroger sur les réalités de la SFIO, à travers des expériences originales comme les Toujours prêts pour servir, l’organisme d’autodéfense socialiste de la région parisienne. Ceux-ci étaient utilisés aussi bien pour faire le service d’ordre de manifestations très officielles, que pour attaquer nuitamment des permanences de l’Action française.

Certains voyaient en eux des défenseurs des libertés républicaines, en cas de coup d’État fasciste, alors que d’autres les considéraient comme les futurs cadres de milices révolutionnaires. Voilà par exemple, ce que peut dire un tel sujet des années 1930 et de la SFIO. Cette étude est donc passée du mémoire au livre, et il faut saluer le beau travail d’édition de Libertalia.

Sur quelles sources as-tu pu t’appuyer pour documenter ce sujet ?

Matthias Bouchenot : Les pratiques fédéralistes et peu bureaucratiques de la SFIO des années 1930 n’ont pas facilité le travail de recherche. à cela s’ajoute la destruction en 1940 d’une partie des archives et le transfert d’une autre partie à Berlin, puis à Moscou.

J’ai cependant pu rencontrer l’un des derniers témoins de cette aventure, Eugène Boucherie, mort à la fin de l’année dernière. Les fonds d’archives de Marceau Pivert et de Jean Zyromski, les textes des fédérations, les comptes-rendus de congrès et la presse forment l’essentiel des sources. Il faut ajouter à cela, bien évidemment, les archives de la préfecture de police.

Les partisans de Marceau Pivert semblent les plus actifs dans la théorisation de l’autodéfense et dans sa mise en oeuvre. Cette division entre révolutionnaires activistes, prêts à faire le coup de poing, et réformistes prudents est-elle indépassable ?

Matthias Bouchenot : Sans aucun doute, l’autodéfense socialiste était associée à la tendance Gauche révolutionnaire de Marceau Pivert, celui qui annonçait en 1936 : « Tout est possible ! ». Il est donc tentant d’affirmer que ce sont les révolutionnaires, seuls, qui ont porté l’autodéfense dans la SFIO, malgré les réformistes légalistes tournés uniquement sur la question électorale, mais l’histoire est toujours un peu plus complexe.

Certes, ce sont bien les révolutionnaires de la SFIO (socialistes révolutionnaires et trotskistes) qui ont fourni les cadres de l’autodéfense, mais ils ne l’ont pas toujours construite contre le reste du Parti. Jusqu’en 1935 environ, ils ont reçu, si ce n’est le soutien de l’ensemble de la SFIO, au moins l’accord des dirigeants.

A la fin des années 1920, lorsque sont remis sur pied des groupes d’autodéfense, l’objectif est d’assurer la tenue des réunions publiques des campagnes électorales de la SFIO. Elles étaient souvent l’objet d’attaques de la part du PCF, et particulièrement dans les arrondissements populaires.

Le divorce entre révolutionnaires activistes et réformistes légalistes sur la question de l’autodéfense n’est donc intervenu que plus tard.

Les militants de la SFIO mais également d’autres organisations (anarchistes, communistes…) sont alors déterminés à ne pas laisser le pavé à l’extrême droite…

Matthias Bouchenot : Oui, dans ce livre, je resitue l’action de l’autodéfense socialiste en région parisienne dans le cadre du Front populaire et des milieux révolutionnaires de l’entre-deux guerres.

Avec l’émergence du Front populaire, la première préoccupation des groupes de combat socialistes a été de contester la présence des ligues nationalistes dans la rue. Elles dominaient dans certains quartiers (comme le symbolique Quartier latin), grâce à leurs pratiques militaristes particulièrement violentes. Pour faire face à elles, l’autodéfense socialiste s’est cherché des alliés.

Elle les a trouvés naturellement dans les organisations du Front populaire, mais pas particulièrement du côté du PCF ou des radicaux. Plutôt du côté des organisations nouvelles nées dans le foisonnement politique des années 1930, comme le Front commun de Bergery.

Elle les a aussi trouvés par-delà le Front populaire, dans les milieux révolutionnaires, trotskistes ou anarchistes, habitués de l’action directe. En se rapprochant de ces mouvances-là, les dirigeants révolutionnaires de l’autodéfense socialiste marquaient aussi leur éloignement de la ligne majoritaire du Parti, ce qui explique que la majorité ait été alors embarrassée par les groupes de combat socialistes.

Peut-on faire des parallèles entre les années 1930 et nos jours ? Et ainsi tirer des enseignements contemporains de leur expérience, dans un climat de montée de l’extrême-droite ?

Matthias Bouchenot : Bien souvent, lorsqu’on veut prendre pour comparaison l’histoire afin d’éclairer une situation actuelle on a le droit à l’adage mécaniste « l’Histoire se répète », ou au contraire à : « l’Histoire ne se répète pas, elle bégaie », pour ceux qui veulent donner l’allure du marxisme à leur ignorance.

Au passage, cela permet d’affirmer que le danger fasciste appartient au passé et cela justifie de ne pas s’en préoccuper… Pour ma part, je me contenterai de dire que ce qui était vrai en 1930 l’est toujours en 2014 : le capitalisme est un système de crises. De crises économiques, mais donc aussi de crises sociales et politiques.

La montée du racisme et du nationalisme, de nos jours comme dans les années 1930, ne doit rien au hasard. C’est l’écran de fumée que dégagent les possédants pour masquer leur responsabilité dans ces crises. Pour véhiculer les dérivatifs à la colère populaire, ils ont besoin de forces politiques, d’où l’essor actuel de l’extrême droite. Mais attention : je ne dis pas que les capitalistes sont forcément nationalistes ou racistes.

Dans le viseur de l’extrême droite, on retrouve bien évidemment les révolutionnaires qui doivent à nouveau faire face aux actes de violence des nervis fascistes. Il n’est donc pas inintéressant pour les antifascistes de se souvenir de leurs héritages, notamment des pratiques et des réflexions socialistes face à la violence des ligues…



 

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