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Le poing levé, un symbole antifasciste et guerrier

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Le symbole du poing levé est depuis quelques années mis à toutes les sauces, on le retrouve un peu partout dans le monde et dans différents contextes: à des concerts, dans la publicité, à des manifestations sportives ou manifestations culturelles, à des manifestations de gauche comme de droite voir d'extrême droite, repris par des personnalités comme des anonymes... le poing levé est devenu un symbole universel se manifestant le plus souvent au cœur d'une foule pour exprimer, extérioriser quelque chose de fort.

 

 

Origines du poing levé...

 

Bien que le poing levé fut de tout temps utilisé presque instinctivement notamment en temps de guerre ou de révolte, on commence à en voir des traces visuelles avec la peinture « L'Emeute » d'Honoré Daumier en1848. Cependant il faut plonger dans le contexte de la République de Weimar d'Allemagne et sa culture politique, pour voir l'origine du poing levé qui va se populariser jusqu'à aujourd'hui. C'est un graphiste communiste, John Heartfield, membre du KPD (Parti Communiste Allemand) qui va créer à partir d'un dessin de Georges Grosz de 1922 la forme fixe liée à l'expression élémentaire de la colère ouvrière: le poing levé.

Immédiatement, le Roter FrontKampferbund (RFB, Front de Combat Rouge), organe paramilitaire du KPD en fait son symbole de ralliement et l'inclut dans son règlement intérieur de 1924. Le poing levé c'est aussi et surtout la réponse de gauche face au bras tendu des nazis qui ont fondé leur parti (NSDAP) en 1920 et comptent déjà en 1923 près de 55.000 membres et 30.000 SA (paramilitaires nazis).

 

...dans un contexte agité

 

En effet, la jeune République de Weimar est dans un contexte bien agité, chaque camps et formation politique possède sa branche paramilitaire en cas d'affrontement. Depuis 1916, l'Empire Allemand est gouverné par les militaires du commandement suprême de l'armée (« OHL ») et voyant que la guerre était perdue, demandèrent qu'un gouvernement civil soit constitué. La constitution de 1871 est amendée vers une démocratie parlementaire en octobre 1918, ce qui avait été refusé depuis plus de 50 ans avec le précédent Empire. Une insurrection, d'abord locale puis généralisée aux bassins industriels, éclate lorsque pendant les négociations de paix avec l'Entente, une entreprise folle commandée par l'Etat-major d'armée allemande tente de faire une dernière sortie de sa flotte navale. Des marins se mutinent et sont suivis par des soldats et des ouvriers. Avec le modèle russe, des soviet « conseils d'ouvriers et de soldats » sont mis sur pied et prennent le pouvoir civil et militaire dans de nombreuses villes, faisant fuir Louis III de Bavière, dernier souverain d'Allemagne.

Les forces socialistes et de gauche se divisent sur la stratégie à adopter: les Sociaux-Démocrates Indépendants (U-SPD) veulent instaurer immédiatement une République Socialiste profitant de l'élan révolutionnaire à l'est avec la Russie soviètique de 1917 pour établir une tête de pont en Europe de l'ouest, alors que les Sociaux-Démocrates Majoritaires (M-SPD) veulent instaurer une démocratie parlementaire comptant sur la patience, l'éducation et la formation des masses pour basculer petit à petit vers le socialisme, par étapes et à coup de réformes. La République, avec système de démocratie parlementaire est instaurée le 9 novembre 1918. Le SPD devient majoritaire au Congrès des conseils d'ouvriers et de soldats du Reich.

Afin de s'assurer la stabilité de la fragile jeune République, les chefs sociaux-démocrates pactisent avec l'armée (dont les idées sont conservatrices, notamment chez les officiers) en stipulant que l'armée ne serait pas réformée si celle-ci tenait son rôle de protéger le gouvernement et la République.

 

La rupture entre sociaux-démocrates et l'aile gauche devient définitive. La Parti Communiste Allemand (KPD) se crée en décembre 1918 et le Parti Communiste des Ouvriers Allemand (KAPD) en 1920. En novembre 1918, janvier et mai 1919 des tentatives insurrectionnelles menées par la gauche (« spartakistes ») pour établir une République Socialiste sont réprimés dans le sang, Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht sont assassinés par des Freikorps (milices formées par le commandement militaire) . Les sociaux-démocrates du SPD deviennent les grands gagnants de ces affrontements et rivalités et s'imposent au cœur de la République de Weimar en 1919.

 

En 1920, après les affrontements entre rivaux de gauche, l'ultra-droite sort les armes. Les officiers et généraux conservateurs, issus des grandes familles de l'ex-Empire décident de passer à l'acte. Un coup d'Etat anti-républicain est tenté par Wolfgang Kapp fondateur du « Parti Allemand de la Patrie » et soutenu par des généraux avec leurs troupes et les Freikorps. Ils marchent sur Berlin et le gouvernement est contraint de se replier à Stuttgart. Le nouveau gouvernement provisoire de Kapp est confronté à une grève générale déclenchée par les syndicats et les partis de gauche (parti communiste, parti socialiste et parti social-démocrate) qui bloque toute l'économie du pays et toute l'administration par la grève des fonctionnaires berlinois. Dans la Rhur, une « Armée Rouge » est crée avec près de 50.000 hommes prêts à en découdre avec la droite impériale, des combats s'engagent. Kapp est d'abord contraint de fuir vers la Suède avant de revenir en Allemagne pour être y être jugé, il décèdera avant son procès.

En 1922, l'extrême droite poursuit ses tentatives de renverser la République en commétant des centaines d'attentats.

 

C'est donc dans ce climat tendu d'attaques réactionnaires de la droite et de l'extrême droite refusant d'accepter l'armistice de 1918 et la République, de guerre civile et de rivalités suite à un changement de régime, de tentatives de coups d'Etats par des formations politiques paramilitaires, que la gauche politique et syndicale crée d'abord des groupements d'auto-défense qui, ne suffisants pas, sont remplacés en 1924 par des groupes larges et paramilitaires. Le Parti Social-Démocrate, avec les syndicats et clubs sportifs ouvriers sous son influence crée la Reichsbanner le 24 février 1924 avec l'accord de la coalition de Weimar (regroupant socialistes/démocrates-chrétiens/républicains). Le Parti Communiste et ses organisations ouvrières quant à lui lance le RFB en juillet 1924. La gauche Allemande venait de déclencher un nouveau style politique d'apparence, alignée sur la stratégie subversive et militarisée de l'adversaire.

 

Le Poing levé, le symbole en expansion

 

Militairement organisées, défilant en formations uniformées avec drapeaux et fanfares, la Reichsbanner, et le Roter Frontkampferbund dont le cri est « Rot Front ! » rencontrèrent un franc succès. Le RFB se concevait bien moins comme une organisation d'auto-défense militarisée que comme le futur noyau de l'armée rouge allemande et lors du passage à la ligne « Classe contre Classe » de la III° Internationale en 1927-1928, le RFB rentre activement dans des combats notamment contre la police. Suite au « Mai sanglant » de 1929 qui fit 30 morts, le RFB est interdit et continue son activité illégalement. Le RFB ne cesse de devenir plus populaire par rapport à la social-démocratie, le poing levé commence à se répandre. Des clichés montrent en 1927, « Les Amis des enfants » de Braunschweig (organe jeunesse social-démocrate) faisant sur un cliché le salut poing levé, et en 1929 au congrès de Magdeburg les jeunes socialistes en uniformes lèvent le poing. En 1931, la Reichsbanner et la centrale syndicale ADGB créent une nouvelle organisation de défense antifasciste: « Eiserne Front » (« Front d'Airain » ou « Front de Fer ») dont les symboles sont les trois flèches et bras tendu avec poing fermé et un cri « Freiheit !». Le salut social-démocrate, proche de celui des communistes, deviendra en peu de temps le mêmes car ils se confondront lors de meetings et rassemblements, doublant donc la popularité du symbole à gauche où désormais socialistes, communistes, syndicalistes et quelques libertaires font dorénavant le salut du poing levé. Le poing levé chez les socialistes devient avec Serge Tchakhotine (fondateur des trois flèches) l'incarnation de la propagande scientifique au service du socialisme.

 

 

Le poing levé dépasse les frontières et devient un rite de masse

 

L'Autriche qui partage avec l'Allemagne de Weimar son contexte agité, est le premier pays où le poing levé est importé dans les formations socialistes, communistes et syndicalistes. Le geste est apparu en France en mai 1926 lorsque la présence de membres du Roter FrontkampferBund assistent à la démonstration des Groupes de Défenses Antifascistes (GDA). Cependant le poing levé commencera vraiment à se faire remarquer en France qu'à partir de 1930 chez les communistes et la CGTU. Chez les socialistes il faut attendre 1933 avec l'utilisation du geste par les jeunesses socialistes, notamment les Faucons Rouges et jeunes gardes du Pas-de-Calais.

Mais le geste du poing levé n'est pas brandit dans un même contexte en France. Il faut bien percevoir la différence de mentalité à cause des contextes d'époques entre allemands/autrichiens et français. Les premiers ont perdu la première guerre mondiale et la société allemande a du mal à se démobiliser, la culture de guerre reste prégnante depuis l'Empire. Le poing levé avec tout l'attirail paramilitaire est alors le reflet de la volonté d'en découdre, l'héritage de la guerre perdue et sa continuité dans la société civile entre formations politiques.

Alors qu'en France, pays vainqueur qui est sorti de son contexte de guerre, les formations politiques qui ont fait « l'Union Sacrée » à part les communistes, les syndicalistes révolutionnaires et les libertaires (ouvertement opposés à la guerre), le poing levé se débarrasse du rituel dont il était imprégné en Allemagne, il devient simplement un geste de lutte contre le fascisme et de soutien aux camarades allemands, pas un rituel destiné à solliciter l'émotion populaire et le sentiment guerrier.

 

Cependant, le poing levé en France prend un tournant décisif en février 1934. Jusque là il était le symbole de compassion internationaliste pour les camarades allemands et autrichiens dans leurs luttes face au nazisme, mais les émeutes des ligues fascistes changent la donne. La gauche prend conscience qu'un danger tapis dans l'ombre menace, l'extrême droite s'est relevée aguerrie par le conflit mondial et a réussi un développement assez étonnant (camelots du roi, croix de feu, le faisceau, action française...). Le 18 février, L’Humanité, rendant compte des obsèques au Père Lachaise des militants tués les 6, 9 et 12 février, écrit : « Du quai de la Rapée au Père Lachaise, la rue a été un champ continu de poings levés. Jamais le geste de front rouge, symbole de la lutte antifasciste, le geste du parti, n’avait été fait aussi longtemps et avec tant d’enthousiasme en France ». Le poing levé se propage à grande vitesse. On lève le poing dans la rue, des passants répondent, des habitants à leurs balcons font le geste pour saluer les cortèges de gauche et syndicaux qui passent devant chez eux.. Le symbole devient signe de reconnaissance mutuelle, signe de ralliement. Le PCF, la SFIO et les syndicats prennent au sérieux le contexte allemand, d'autant que Hitler est Chancelier depuis le 30 janvier 1933, et constituent des organisations d'autodéfense antifasciste. La fédération de la Seine de la SFIO avec à sa tête Marceau Pivert (tendance Gauche Révolutionnaire) crée les TPPS dont le symbole sera les trois flèches mêlées au poing levé.

 

En Espagne, le poing levé se fait remarquer pendant la campagne et la victoire en 1936 du Frente Popular, alors qu'il était absent lors de la proclamation de la République en 1931. L'élan révolutionnaire qui met en échec le putsch militaire (pendant un temps) de Franco popularise immédiatement le geste.

 

 

En 1936, avec l'arrivée au pouvoir du Front Populaire, défilés et manifestations en France transforment le rite militant en rite de masse. Dans la lignée de ce que voulait Tchakhotine, l'effet du poing levé déclenche enthousiasme et résolution, il devient facteur de connexion entre les gens, la prise de conscience que l'on est pas seul, la force du nombre et des soutiens.. Il devient une tradition accompagnant tout moments de partages collectifs: les commémorations des camarades morts, les fêtes, les manifs, les occupations d'usines, les chants... Le poing levé est devenu le symbole fixe d'une civilisation socialiste internationale.

 

A lire:

- Le « poing levé », du rite soldatique au rite de masse. Jalons pour l’histoire d’un rite politique, de Gilles Vergnon.

- Poings levés et bras tendus, la contagion des symboles au temps du Front Populaire, de Phillipe Burin

Le poing levé, un symbole antifasciste et guerrier

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